Des méga-machines aux méga-algorithmes – New Inquiry

L’universitaire Jathan Sadowski (@jathansadowski) signe pour The New Inquiry, une intéressante tribune où il revient sur le concept de méga-machines développé par l’historien Lewis Mumford dans son essai Techniques autoritaires et démocratiques (.pdf). Pour Mumford, les méga-machines décrivent les organisations où les êtres humains fonctionnent comme des rouages. Elles sont des structures de pouvoir dont l’autorité repose dans un système abstrait, ordonné, administré et réalisé par ses composants. Avec leurs hiérarchies managériales, la division du travail et les méthodes complexes de la comptabilité, les méga-machines excellent au contrôle des grands systèmes sociaux et coordonnent des actions collectives pour parvenir à leur objectif.  

Bien que composées d’êtres humains, les méga-machines sont fondamentalement anti-humaines, explique-t-il en prenant pour exemple le Kremlin, le Pentagone ou General Motors. Pour Sadowski, à l’heure des technologies intelligentes en réseau, les méga-machines sont supplantées par les méga-algorithmes. Les gens sont atomisées par les technologies numériques et tenus à l’écart dans leurs flux de données. “Les discours techno-utopistes de l’émancipation et de la communauté qui composent le méga-algorithme sont un voile idéologique efficace qui enveloppe des pratiques d’exploitation et de contrôle.” Dans cette nouvelle machine, les individus ne sont plus des travailleurs sous-payés et surmenés, mais des entrepreneurs qui construisent leur marque personnelle et doivent trouver leur créneau sur le marché. 

Le méga-algorithme est le descendant de la méga-machine. Les deux englobent les humains dans un système de traitement d’information mû par la rétroaction à laquelle ils sont à la fois essentiels et accessoires. Ils sont à la fois le rouage et le noeud, et leur jugement est devenu superflu. Les algorithmes dissimulent l’humain, permettant de refondre à grande échelle l’économie même de leur travail. Sa flexibilité, son fonctionnement rhizomatique, lui permettant de calculer la valeur de chacun et de chacun de ses objets qui travaille pour le méga-algorithme dès lors qu’il est connecté. 

Pourtant, la méga-machine ne disqualifie pas le travail.  Quand Google exploite les traductions de rapports de l’ONU et de l’Union Européenne pour générer son algorithme de traduction, il n’a négocié d’aucun dédommagement supplémentaire les auteurs de ces traduction qui pourtant lui permettent de fourbir son service ? Quand Coursera s’appui sur sa communauté d’utilisateurs pour traduire ses cours en plusieurs langue, il ne recrute pourtant pas des “traducteurs” mais des bénévoles dont il s’arroge tous les droits de traduction, comme l’explique Geoff Shullenberger dans Jacobin. Pourtant, ce volontaire, qui effectue un travail qualifié sans compensation autre que le plaisir de l’accomplissement, prétendument pour des raisons de bien public, contribue en fait directement et sans ambiguïté à la rentabilité d’une société. 

Bien sûr, nous pourrions être payé pour le Digital Labor que nous réalisons en ligne, comme le propose BubbleNews. Mais c’est prendre le risque que notre vie sociale toute entière “soit constamment formulée en terme de monétisation et que cette réduction serve surtout à ancrer davantage les logiques dont nous voudrions nous défaire”. Comment se battre contre une logique et un système dispersé et omniprésent, qui, au cas par cas (pour l’utilisateur) ne semble pas faire système et offre une vaste gamme d’avantages immédiats ? Il va nous falloir trouver les moyens de surmonter l’apparente immatérialité abstraite du méga-algorithme, conclut Jathan Sadowski. Plus facile à dire qu’à faire !

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