Il y a actuellement une forme d’hystérie collective autour de l’entrepreneuriat… – Fractale

Sur Fractale (@FractaleMag), le magazine pour “entreprendre et innover avec sens”, Peggy André (@peggy_andre) s’énerve et ça fait du bien :

“Non
on ne peut pas fermer les yeux devant les levées de fonds qui ne riment
à rien, si ce n’est défiscaliser pour des business angels qui ont
hésité entre mettre des tickets de 10 000€ dans des entreprneuriatstartups inutiles et
rejoindre l’exil doré franco-français de Bruxelles ou Genève. Surtout
quand on voit toute la misère qui règne en France et ailleurs en ce
moment, que ce soit les réfugiés syriens dont chacun voudrait qu’ils
disparaissent des infos regardées avec son plateau repas en famille à
20h, les jeunes de banlieue qu’on a oubliés depuis trop longtemps et qui
n’attendent qu’un geste de la part de ceux qui ont réussi pour
commencer une vraie vie, plutôt que rejoindre le grand banditisme ou
l’État Islamique, l’état de délabrement des infrastructures en banlieue
et en province, l’abandon des services de transport en commun en région,
le taux de chômage faramineux dont on ne voit pas l’issue, les
faillites d’entreprises historiques gérées en bon père de famille depuis
20 ou 30 ans parce qu’elles n’ont pas eu la chance d’avoir le bon
réseau pour trouver de l’argent, etc… Les injustices sont nombreuses, on
sait bien que les levées de fonds n’y sont pour rien, mais cela nous
révolte quand même, quand on fait le parallèle.

On ne peut aussi fermer les yeux devant ce soudain engouement pour
l’entrepreneuriat qui serait la seule solution pour sauver la France du
chômage. Chacun prendrait tout d’un coup sa vie en mains, en quête de
sens, préférant avoir un job trop cool à un salaire décent. On se fiche
de qui ? C’est une opération marketing – ou lavage de cerveau- des
jeunes auxquels l’Etat n’a rien à offrir qu’une crise économique qui
s’éternise, des inégalités croissantes, et une démission de son action
sociale. Il n’y a pas le choix de toutes façons, il faut bien créer son
job, car il n’y en a pas d’autres façons. Un stage, une alternance, un
contrat aidé oui, mais un CDI ou même rien qu’un CDD, c’est devenu un
mythe de l’âge d’or qu’ont vécut nos parents et grands-parents il y a
bien longtemps. Sauf que si t’as pas ton CDI, tu peux toujours chercher
un logement : en location, te déplace même pas pour visiter et en achat,
tu as intérêt à bien négocier avec ton conseiller ou avoir ton papa et
ta maman qui t’ont remplit à ras-bord une assurance vie depuis ta
naissance. En dehors du CDI point de salut. Et c’est sans compter sur
cette mutation sociétale qui fait tant fantasmer les pouvoir publics et
les grands penseurs qui nous martèlent que le salariat c’est fini,
aujourd’hui place à l’économie collaborative, au retour aux vraies
valeurs, à la notion d’usage avant la possession, à travailler « quand
j’en ai envie », et sans contrainte, dans la liberté la plus totale.
Mais la précarité la plus totale aussi ! Car pas déclaré, il n’y a pas
d’impôts certes, mais pas de sécurité sociale et pas de retraite. On va
bien rire dans 50 ans quand toute une génération n’aura pas de quoi
vivre à 70 ans. Mais c’est vrai, on s’en fiche, nous on ne sera plus là
pour voir ça. Sans compter que des entreprises devenues des géants
internationaux valorisés plusieurs milliards d’euros, sous couvert de
changer le monde, se font des fortunes sur le dos de ces gens qui
n’ayant pas de job n’ont d’autres choix que de sous-louer leur
appartement, leur voiture ou leur perceuse. Ces droits que les salariés
ont mis des générations à acquérir sont aujourd’hui bafoués par des «
licornes » (pas celles des Bisounours évidemment…), sans que cela
n’émeuve qui que ce soit, bien au contraire, ils sont même adorés par
des apprentis-startupers qui ne rêvent que de vivre la même chose. On ne
dit pas que c’était mieux avant. Rechercher du sens, vouloir plus de
liberté dans son job et sa vie, travailler quand on veut c’est bien,
mais encore faut-il que cela soit vraiment de son plein gré et pas pour
enrichir à profusion ceux qui profitent de la crise et du chômage.

Les incubateurs et accélérateurs qui ont émergé à profusion ces
dernières années, créés pour bon nombre d’entre eux par des startupers
ayant échoué et se disant qu’aujourd’hui cela leur donne une légitimité
pour accompagner les autres entrepreneurs, ou par des consultants et
investisseurs en mal de notoriété. Car une fois que vous avez créé une
telle structure, toutes les portes s’ouvrent à vous, vous faites partie
de l’élite qui œuvre pour encourager l’entrepreneuriat en France. Axelle
Lemaire et Emmanuel Macron vous gratifient régulièrement de leur visite
dans vos locaux. Des business angels viennent faire leur marché pour
dénicher la pépite qui leur fera économiser quelques milliers d’euros
sur leur avis d’imposition l’année prochaine. Mais en 3 mois, on apprend
quoi ? Qu’il faut s’associer et qu’on ne peut pas réussir seul, que si
on est une femme, on a plus de chance de passer dans les médias, que
sans levée de fonds, on ne peut pas décoller, qu’on doit
vivre-manger-dormir pour sa boite, qu’on doit avoir un réseau en béton
qui sera toujours là en cas de pépin divers, qu’on doit faire entrer son
dev à son capital, etc… Et en plus les incubés doivent dire partout que
« c’est tellement formidable d’avoir intégré xxxx, ça a changé ma vie,
sans eux je ne serais rien » Critiquer un accélérateur ou un incubateur,
c’est mal. C’est comme si tu dénigrais ta patrie qui t’a nourri depuis
le berceau.

Les écoles de commerce, on en parle aussi ? En France, si tu n’as pas
fait une grande école de commerce, ESCP, ESSEC, HEC, tu peux aller
pleurer sur ton canapé devant The Apprentice, parce que tes chances de
créer ta boite et de réussir sont infimes par rapport à celles et ceux
qui ont eu la chance d’avoir leurs parents pour payer le saint Graal.
Qui dit école de commerce dit réseau (vous savez les gens qui pourront
vous servir à quelque chose pour vous enrichir et passer à la TV), dit
argent pour financer tes projets, dit mentors de renom pour t’empêcher
d’aller dans le mur au bout de 6 mois, dit ouverture de toutes les
portes que tu as besoin sur le chemin de ta réussite. Si tu as fait la
fac, un BTS, un CAP, que tu n’as pas de réseau en or et que tes parents
ne sont pas amis avec un PDG du CAC40, peut-être que tu pourras réussir,
mais ça va être très très dur, pas impossible, mais prépare toi à
galérer pendant des années.Alors, aigris, révoltés, jaloux, chacun pourra nous qualifier de ce
qu’il veut, mais nous continuerons à défendre notre vision de
l’entrepreneuriat, de la réussite, de la création de valeur, et à
pointer du doigt ceux qui pensent avoir atteint le sommet parce qu’ils
ont levé 500 000€ sans business model, ceux qui ne prennent que des
stagiaires ou des autoentrepreneurs pour faire un maximum de rentabilité
aux dépends des travailleurs, ceux qui sont nés avec une cuillère en
argent dans la bouche et qui viennent donner des leçons aux jeunes qui
soi-disant ne se bougent pas, ceux qui paradent dans les soirées
networking à la recherche de leur prochaine proie à presser comme un
citron, les politiques qui font de la récupération de ces changements de
société, les journaux qui pour se faire bien voir du gratin du web font
des publirédationnels en lieu et place d’articles de qualité sans
parti-pris. Mais une chose est sûre, on continuera à parler de ces
entrepreneurs qui agissent au quotidien avec passion, qui créent des
vrais emplois, qui n’ont pas besoin d’avoir un mentor pour leur dire ce
qu’ils doivent faire, qui ne cherchent pas les aides à tout prix, qui
chutent et qui se relèvent, qui transmettent leur savoir-faire, qui
donnent de leur temps à ceux qui en ont besoin, et tout ça en gardant la
pêche et le sourire tous les jours !”

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