Morozov : “internet est la nouvelle frontière du néolibéralisme” – Rue89

Xavier de la Porte interviewe Evgeny Morozov pour Rue89, alors qu’il publie en français un excellent recueil de ses meilleurs articles, très virulent et très ramassé, Le mirage numérique : 

“La Silicon Valley va au-delà de tout ce qu’on avait connu auparavant
en termes d’impérialisme économique. La Silicon Valley dépasse largement
ce qu’on considérait auparavant comme les paragons du néolibéralisme
américain – McDonald’s par exemple – car elle affecte tous les secteurs
de notre vie.

C’est pourquoi il faut imaginer un projet politique qui rénove en
fond notre conception de la politique et de l’économie, un projet qui
intègre la question des infrastructures en garantissant leur
indépendance par rapport aux Etats-Unis.

(…) Regardez par exemple ce qui se passe avec ce qu’on appelle les
« smart cities ». Quand vous regardez dans le détail ce qui est vendu
aux villes, c’est d’une pauvreté confondante. Le problème, c’est que les
villes y croient et paient pour ça. Elles croient à cette idée du
logiciel qui va faire que tout fonctionne mieux, et plus
rationnellement. Donc si la technologie en elle-même ne marche pas
vraiment, le discours, lui, fonctionne à plein. Et ce discours porte un
agenda propre.

Il est intéressant de regarder ce qui s’est passé avec la
reconnaissance faciale. Il y a presque quinze ans, dans la suite du
11 Septembre, les grandes entreprises sont allées vendre aux Etats le
discours de la reconnaissance faciale comme solution à tous leurs
problèmes de sécurité. Or, à l’époque, la reconnaissance faciale ne
marchait absolument pas. Mais avec tout l’argent des contrats, ces
entreprises ont investi dans la recherche, et aujourd’hui, la
reconnaissance faciale marche. Et c’est un énorme problème. Il faut
prendre en compte le caractère autoréalisateur du discours
technologique.

(…) il n’existe pas d’alternative à Google qui puisse être fabriquée par
Linux. La domination de Google ne provient pas seulement de sa part
logicielle, mais aussi d’une infrastructure qui recueille et stocke les
données, de capteurs et d’autres machines très matérielles. Une
alternative ne peut pas seulement être logicielle, elle doit aussi être
hardware.

Donc, à l’exception peut-être de la Chine, aucun Etat ne peut
construire cette alternative à Google, ça ne peut être qu’un ensemble de
pays.”

Pour Morozov, les processus d’individualisation liés aux technologies nous font oublier la solidarité, qui est au fondement même de la sociale-démocratie. Et c’est elle qui est mise à mal par la Silicon Valley, explique-t-il en parlant de “post-sociale-démocratie” et en reprochant à la gauche d’avoir oublié la justice et l’égalité au profit de l’innovation et de la compétition. A lire !

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