Stéphane Bortzmeyer livre une intéressante lecture du dernier rapport du Conseil national du numérique sur la neutralité des plateformes… “Le plus gros problème avec ce rapport : il affirme que les gros silos comme Google sont incontournables. Mais ce n’est pas vrai. Autant le FAI est un intermédiaire obligé, autant l’usage de Gmail n’est pas obligatoire”, tranche Bortzmeyer. Ce n’est pas parce que les GAFA sont un quasi monopole que leur régulation s’impose.
“La solution est-elle d’imposer à ces silos des règles protégeant (sans doute fort mal) leurs victimes ? On entrera alors dans une logique dangereuse, où on laisse ces entreprises vous exploiter, en mettant simplement quelques garde-fous (l’expression, révélatrice, est du CNN : « Il est donc crucial de développer des garde-fous adaptés aux dynamiques de plateformes afin de protéger les usagers et l’innovation lorsque le passage d’une logique ouverte à une logique fermée se produit »). Pour reprendre les termes de Bruce Schneier, les silos sont des seigneurs féodaux : on obtient d’eux quelques services et, en échange, ils sont vos maîtres. Faut-il limiter les excès des seigneurs, leur imposer des garde-fous ? Ou bien faut-il plutôt passer à un régime post-féodal ?”
L’internet sans Gafa existe encore clame Bortzmeyer. Et si leur place est prépondérante, c’est aussi pour des raisons politiques :
“Le pair-à-pair a été activement persécuté et diabolisé, sur ordre de l’industrie du divertissement, jetant ainsi des millions d’utilisateurs dans les bras des silos centralisés. Et puis, les ministres aiment bien râler contre Google mais, au fond, ils sont très contents de sa domination. Ils sont bien plus à l’aise avec quelques grosses entreprises privées qu’avec des millions d’internautes libres.”
“L’effort essentiel ne devrait pas être consacré à essayer de mettre quelques pauvres garde-fous à la voracité des GAFA, mais a encourager leur relativisation. Le rapport du CNN parle un peu de « Soutenir activement les initiatives de constitution de modèles d’affaires alternatifs. Par exemple, soutenir les solutions « cross-platforms » qui facilitent l’utilisation simultanée de services concurrents complémentaires, ou celles qui apportent une diversification des voies de la chaîne de valeur entre les services et leurs utilisateurs et le développement d’applications nouvelles dans l’économie sociale. » mais ce n’est guère développé et cela se limite apparemment à la création de quelques entreprises privées concurrentes (mais françaises) au lieu de chercher à limiter l’usage des silos centralisés.”
Sur Numerama, Guillaume Champeau n’est pas plus tendre avec le rapport du CNNum qui ne propose que la transparence comme mode de régulation. Le juriste Lionel Maurel, quant à lui, met en exergue le fait que le Conseil “se prononce contre l’idée d’instaurer un droit de propriété privée sur les données personnelles comme moyen de parvenir à une meilleure régulation de l’environnement numérique”. Et en effet, les données personnelles ne sont pas considérées comme nos propriétés, mais comme un droit, qui échappe au droit d’auteur et à la propriété intellectuelle. Alors que beaucoup réclament un droit de propriété sur les données, Lionel Maurel en souligne les limites. Pour lui, l’un des risques est de voir se multiplier les courtiers de données, des tiers qui les gèrent et les monétise à la place des gens.
“Loin d’aboutir à une "souveraineté” retrouvée, le détour par la propriété mènerait les individus sous la coupe d’autres intermédiaires et précipiterait encore davantage le mouvement de marchandisation des données personnelles. (…) En réalité, la conception patrimoniale des données personnelles repose sur un individualisme méthodologique, typiquement libéral, postulant que la meilleure façon de gérer un écosystème consiste à laisser les acteurs individuels prendre des décisions à leur niveau. Or c’est précisément cette approche réductrice que le CNNum conteste à juste titre dans son rapport. Le problème des données personnelles est essentiellement systémique et c’est à ce niveau qu’il faut se placer pour tenter de le résoudre.“
Pour le juriste, le mouvement d’affirmation de nouveaux droits de propriété au profit des individus (la conception propriétaire des données personnelles) risque surtout de développer de nouvelles enclosures qui risquent surtout de "réduire d’autant les droits fondamentaux dont bénéficiait le public sur les biens communs”. Pour Lionel Maurel, citant Valérie Peugeot, il faut imaginer appliquer la logique des licences libres aux données personnelles… Imaginer des Privacy commons des données personnelles à l’image des Privacy Icons de Mozilla. permettant de déterminer les conditions de réutilisations des données personnelles.
Reste encore à éclaircir le faisceau de droits sur les données personnelles permettant de les gérer en commun, à l’image de l’obligation de loyauté des plateformes vis à vis de leurs utilisateurs que propose le CNNum.
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