Comment les centrales de réservation hôtelières (Expedia, Booking, TripAdvisor…) ont transformé l’hôtellerie familiale…
“Les artisans que sont les hôteliers ont été enterrés, repoussés très bas dans les multiples strates de la société de l’information. Ils n’ont pas la puissance marketing pour placer leurs sites devant ceux des centrales, encore moins devant Google en faisant de la saisie de leur nom de domaine un réflexe. Pour les hôteliers, la promesse d’une société plus transversale n’a été qu’un leurre. Aujourd’hui, s’ils veulent remplir leurs chambres, ils doivent s’affilier à des centrales de réservation et leur concéder jusqu’à 30 % de royalties. Refuser ce racket revient pour eux à fermer boutique, d’autant que les centrales interdisent aux hôteliers de vendre en direct à un prix inférieur du leur.”
L’utilisateur y a-t-il gagné ?
“En dévorant la marge des hôteliers, les centrales en ligne érodent la qualité des prestations. Sous prétexte de nous servir, elles nous desservent par leur voracité. Et puis, un jour ou l’autre, nous nous retrouvons dans la peau d’un hôtelier. (…) Le Net qui nous promettait de nous mettre en contact les uns avec les autres, ne réussit à le faire qu’à travers de gigantesques intermédiaires qui ponctionnent nos échanges. (…) Google a engendré un écosystème où les artisans n’ont pas leur place. Il ne suffit plus de créer un site pour qu’il existe.
(…) Les business angels ne s’y trompent pas. Ils ne soutiennent presque que les plateformes. Plutôt que de pousser l’innovation, ils encouragent le développement des outils qui vampirisent une myriade de producteurs artisanaux auxquels on promet tantôt la fortune, tantôt la reconnaissance. En vérité, seules les plateformes s’enrichissent, c’est-à-dire les plus hauts degrés de la pyramide.
(…) Google est complice de cette dérive. Il pourrait favoriser les petits sites au détriment des gros, réorienter l’histoire du Web vers l’artisanat. Il lui suffirait de traquer et d’éliminer avec plus d’acharnements les sites qui pour la moindre requête affichent systématiquement des milliers de résultats. Nous trouverions à nouveau des hôtels, des assembleurs d’ordinateurs, des producteurs locaux… Mais Google fait tout le contraire, de peur peut-être de laisse émerger son successeur.
Résultat : le Web né comme un réseau décentralisé ne cesse chaque jour de se centraliser davantage. Les petits acteurs disparaissent de la carte du cyberspace, mais aussi de nos rues.
(…) Le Net qui selon l’idéologie de ses premiers panégyristes devait horizontaliser la société ne cesse de la verticaliser. Alors que beaucoup d’utopistes, moi le premier, ont théorisé qu’il affaiblirait le capitalisme, il ne cesse de le renforcer. Il a ouvert pour lui un nouveau champ de croissance : d’un côté l’élimination systématique des petits détaillants, de l’autre la vampirisation des petits producteurs.”
Partout, les plateformes règnent en maître. “Le web se résume à quelques grands centres commerciaux.”
Pourtant, estime Thierry Crouzet, loin de leur force d’attraction subsiste encore un riche écosystème.
“Des hôteliers refusent de s’affilier avec les centrales. Ces irréductibles comptent sur la qualité de leur offre pour fédérer leurs clients tout en les encourageant à se faire leurs VRP. De même, des blogueurs refusent de se voir aspirés par les médias plateformisés. Ils se battent pour leur indépendance et construisent autour d’eux de petites communautés très actives.”
(…) Les théoriciens des réseaux montrent que tant que nous avons la possibilité de nous conseiller et d’interagir, c’est-à-dire de maintenir une communauté étroitement soudée, nous ne basculons par sur les plateformes des winners, même si notre technologie n’est pas aussi performante que la leur. (…) C’est à ce prix que le winner-take-all peut être contrebalancé et que nous éviterons la dictature numérique de quelques géants.“
A lire chez Thierry Crouzet !
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